Depuis plusieurs années, l’Inde se débat avec une question épineuse : comment encadrer l’essor fulgurant des cryptos sans freiner l’innovation ? Mais une décision récente du tribunal de Delhi remet brutalement les enjeux sur la table.
Dans une affaire mêlant cryptoactifs et corruption, le juge Girish Kathpalia a qualifié la crypto de « menace pour la stabilité financière », alertant sur le risque d’un effondrement du système monétaire indien. Une prise de position rare et directe, qui pourrait bien précipiter un durcissement réglementaire.
Le spectre d’un système parallèle
Dans son jugement, le magistrat n’a pas mâché ses mots : les cryptos « dissolvent l’argent reconnu dans un réseau obscur, inconnu et non traçable ».
L’affaire en cause concerne un homme d’affaires soupçonné d’avoir utilisé des cryptos pour dissimuler les fruits d’actes de corruption. Mais au-delà de ce cas particulier, le message est limpide : la blockchain devient un terrain fertile pour les flux financiers illicites.
Cette alerte judiciaire marque une rupture. Jusqu’ici, les critiques de la crypto en Inde provenaient principalement d’économistes ou de responsables politiques. Désormais, c’est la justice elle-même qui s’en mêle, et avec fermeté.
Le juge souligne l’inefficacité des contrôles actuels. En effet, il dénonce une technologie qui échappe aux mécanismes traditionnels de traçabilité.
Crypto : un vide législatif qui entretient le flou
L’Inde impose déjà une fiscalité lourde aux détenteurs de cryptoactifs. Il s’agit d’une taxe de 30 % de taxe sur les plus-values et 1 % de taxe à la source (TDS) sur chaque transaction.
Mais paradoxalement, aucune loi ne définit clairement ce que sont ces actifs ni les obligations précises des plateformes d’échange. Ce flou alimente une zone grise juridique, où prolifèrent les arnaques, le blanchiment et l’optimisation fiscale agressive.
La Cour suprême avait déjà comparé l’usage non encadré des cryptos à une version numérique du système Hawala, un réseau informel de transfert d’argent longtemps associé à des activités illégales. Ce parallèle, lourd de sens, souligne l’urgence d’agir.
La ministre des Finances, Nirmala Sitharaman, insiste sur la nécessité d’une régulation concertée au niveau international : une idée qu’elle a portée lors de la présidence indienne du G20.
Mais cette stratégie globale peine à se concrétiser, laissant les juridictions locales seules face à des risques de plus en plus palpables.
Le temps des demi-mesures est-il révolu ?
La prise de position du tribunal de Delhi pourrait catalyser un changement de cap. En qualifiant la crypto de « menace systémique », la justice prépare le terrain pour une régulation plus stricte.
On peut s’attendre à des exigences renforcées pour les exchanges, incluant des obligations KYC (Know Your Customer), des contrôles de provenance des fonds et une coopération accrue avec les autorités financières.
Certaines plateformes commencent déjà à s’ajuster. Bybit, par exemple, applique désormais une taxe de 18 % sur les services rendus à ses utilisateurs indiens, en anticipation de mesures fiscales supplémentaires. Mais ces initiatives isolées ne suffisent pas à rassurer les institutions.
Le dilemme indien reste entier : comment exploiter le potentiel économique et technologique de la crypto tout en préservant la stabilité du système financier ? Le pays compte plus de 100 millions d’utilisateurs de crypto, selon certaines estimations, ce qui en fait l’un des plus grands marchés mondiaux. Ignorer cette réalité reviendrait à se priver d’un levier d’innovation puissant.