Le chiffre donne le vertige : 913 111 ETH ont été irrémédiablement perdus, selon Conor Grogan, directeur chez Coinbase. Soit près de 3,4 milliards de dollars, et 0,76 % de l’offre totale d’Ethereum. Un rappel brutal : dans un système pensé pour l’autonomie, la moindre erreur peut coûter une fortune.
Un cimetière invisible sur la blockchain
La blockchain est censée être transparente et immuable. Ce qu’on oublie souvent, c’est qu’elle devient aussi un gigantesque cimetière de cryptos dès qu’une bévue se glisse dans le code ou les manipulations.
Dans son analyse, Conor Grogan a recensé plusieurs formes de pertes définitives. À commencer par les transferts vers des adresses inaccessibles (les fameuses burn addresses), parfois utilisées par méconnaissance ou saisies par erreur. Près de 25 000 ETH y ont été engloutis, sans espoir de retour.
Based on my research, a minimum of 913,111 Ethereum is lost forever due to user error. This is 0.76%+ of ETH supply, or $3.43 billion in lost funds
If we include EIP‑1559 burned ETH (5.3M), then >5% of all ETH ever made ($23.42B) have been permanently destroyed pic.twitter.com/IlTduN7Kzx
— Conor (@jconorgrogan) July 20, 2025
Mais les cas les plus coûteux viennent de bugs techniques. En 2017, le wallet Parity utilisé notamment par la Web3 Foundation a gelé 306 000 ETH suite à la suppression accidentelle d’une fonction critique dans un smart contract. Les fonds sont toujours là, mais inaccessibles. Aucun hard fork n’a été tenté pour les restaurer : une décision assumée, mais qui continue de faire débat.
Autre cas emblématique : QuadrigaCX, l’ex-plateforme canadienne, aurait perdu près de 60 000 ETH après les avoir envoyés vers des smart contracts mal conçus ou mal documentés. Une gestion défaillante, révélatrice des risques d’un self-custody mal maîtrisé.
Quand la technologie trahit les bonnes intentions
Toutes les erreurs ne viennent pas d’utilisateurs distraits. Parfois, ce sont les développeurs eux-même qui commettent l’irréparable.
En 2022, le projet NFT Akutars porté par l’ex-joueur de baseball Micah Johnson a vu 34 millions de dollars bloqués à jamais lors d’un mint, à cause de deux bugs critiques dans le contrat. Une erreur de conception évitable, mais révélatrice d’un mal plus profond : la précipitation dans le développement.
Même les outils supposés les plus sécurisés, comme les portefeuilles multisig, peuvent devenir des pièges. Si le contrat qui les régit est corrompu ou supprimé, l’accès aux fonds devient impossible. C’est exactement ce qui s’est produit avec Parity.
Chaque bug mine la confiance dans l’écosystème. Les pertes sont économiques, bien sûr. Mais elles freinent aussi l’adoption et entretiennent cette image de la crypto comme d’un Far West technologique.
Un impact bien réel sur l’économie d’Ethereum
Ces ETH “perdus” ne le sont pas au sens physique : ils sont encore visibles sur la blockchain. Mais plus personne ne peut y toucher. Autrement dit, ils ne participent plus à l’économie active.
À cela s’ajoute une autre forme de disparition : la destruction volontaire de tokens via l’EIP-1559, introduite avec le hard fork London en 2021. Ce mécanisme a déjà brûlé plus de 5,3 millions d’ETH, réduisant progressivement l’offre en circulation.
Le résultat ? Une rareté croissante des jetons. Ce qui, en théorie, exerce une pression haussière sur le prix. Mais ce n’est pas si automatique. Ces pertes massives soulignent aussi une fragilité d’usage : quand l’erreur est si coûteuse, cela refroidit forcément les ardeurs.
Peut-on éviter la prochaine catastrophe ?
La crypto repose sur un principe de base : la responsabilité individuelle. Mais à ce niveau de pertes, la question mérite d’être posée : faut-il revoir nos outils, nos usages, notre pédagogie ?
Premier levier : l’amélioration de l’expérience utilisateur. Certains wallets pourraient prévenir les envois risqués (alerte si l’adresse ressemble à une burn address, prévisualisation des transactions, simulation en amont). MetaMask teste déjà ce type de garde-fous.
Deuxième piste : l’éducation. Beaucoup d’utilisateurs n’ont jamais appris à sauvegarder une clé privée ou à tester un contrat sur un testnet. Intégrer ces bases dans l’onboarding crypto devrait devenir la norme.
Enfin, la standardisation des audits est urgente. Tout contrat manipulant des fonds devrait être audité au moins deux fois, par des entités indépendantes. Plus comme un bonus, mais comme un passage obligé.
Les 913 111 ETH perdus à jamais ne relèvent pas de cas isolés. Ils reflètent une maturité encore incomplète dans l’écosystème crypto. Tant que la technologie laissera autant de place à l’erreur, les pertes continueront.