L’Inde avance à tâtons sur la question des cryptos. Depuis des années, le pays évolue sans véritable boussole réglementaire, coincé entre prudence monétaire et opportunités économiques. Mais une proposition juridique inédite pourrait bien changer la donne.
Porté par le cabinet du fonds Hashed Emergent, le COINS Act 2025 propose d’appliquer une logique constitutionnelle aux actifs numériques. L’objectif est clair : sortir la crypto du no man’s land juridique, restaurer la confiance, et positionner l’Inde comme acteur crédible de la finance décentralisée.
Un vide réglementaire paralysant
Depuis la levée de l’interdiction bancaire en 2020, les choses n’ont guère évolué. Officiellement, rien n’interdit la crypto. Mais en l’absence de cadre clair, tout repose sur des circulaires temporaires, des annonces floues et des décisions parfois contradictoires des autorités.
Comme le résume l’avocat Arvind Alexander, « on est dans un purgatoire réglementaire ». Pas d’agence dédiée, une fiscalité dissuasive (30 % sur les plus-values, sans compensation des pertes), et des banques qui coupent parfois les ponts sans explication. Nombre de startups ont déjà plié bagage : direction Singapour, Dubaï ou Lisbonne.
Pour Alexander, cette inertie ne menace pas seulement l’innovation locale. Elle traduit un renoncement plus large à définir les règles du jeu dans un secteur stratégique.
COINS Act : une approche fondée sur les droits
Dans ce contexte, le COINS Act 2025 propose un changement de cap. Son principe central : reconnaître des droits fondamentaux aux utilisateurs de cryptomonnaies, au même titre que ceux garantis par la Constitution.
Parmi ces droits :
- la self-custody, c’est-à-dire la détention directe de ses actifs numériques ;
- la possibilité de transférer librement des cryptos, dans le respect de la loi mais sans surveillance systématique;
- la liberté de coder, tester et déployer des applications sur des blockchains publiques.
Ce modèle s’oppose à la logique dominante, axée sur le contrôle et le filtrage. Il part du postulat que la transparence native des blockchains, combinée à la responsabilité individuelle, peut suffire à assurer la conformité.
Un coup de pouce à l’innovation locale
Le texte va au-delà de la simple reconnaissance des droits. Il prévoit la création de zones d’expérimentation réglementaires, permettant aux startups de tester leurs projets sans risques juridiques immédiats.
Il suggère aussi la création d’un régulateur dédié aux crypto-actifs, distinct de la Banque centrale ou de l’autorité des marchés. Ce régulateur aurait pour mission de délivrer les licences, d’assurer la cohérence des règles, et de coordonner avec le législateur.
L’idée est simple : si l’Inde veut garder ses talents et attirer des projets internationaux, elle doit offrir un minimum de stabilité juridique.
Une réserve stratégique en Bitcoin ?
Le volet le plus surprenant du projet reste sans doute la proposition de constituer une réserve nationale en Bitcoin.
Selon Vishal Achanta, juriste chez Hashed Emergent, il ne s’agit pas de spéculer, mais de diversifier les réserves nationales, aujourd’hui largement dépendantes du dollar et des obligations d’État.
L’État pourrait acheter de petites quantités de BTC sur le marché ou consolider des avoirs saisis dans le cadre d’affaires judiciaires. Une stratégie prudente, mais symbolique : elle acterait l’entrée du Bitcoin dans la réflexion budgétaire et monétaire d’un grand pays en développement.
Est-ce réaliste ? Pas pour tout de suite. La Banque centrale n’a pas commenté l’idée, et il est peu probable qu’elle s’y rallie ouvertement. Mais le fait que la question soit posée change déjà le ton du débat.
Une proposition, pas encore un projet de loi
Il faut toutefois rappeler que le COINS Act n’a, à ce stade, aucune portée légale. Ce n’est pas un texte du gouvernement, mais une proposition privée, élaborée par des juristes du secteur.
Cela dit, la publication prochaine d’un papier de consultation officiel sur les crypto-actifs pourrait ouvrir une fenêtre politique. Si le débat prend, et si certains parlementaires s’en emparent, le texte pourrait servir de base.
Mais comme le souligne Alexander, encore faut-il que ce document ne se contente pas de poser des questions.
Si on veut des réponses, il faut aussi avoir le courage de faire des propositions.