Le Bitcoin n’a jamais été aussi mature, mais voilà que Jack Dorsey, figure emblématique de la tech et cofondateur de Block (ex-Square), jette un pavé dans la mare. En soutenant le BIP 177, il propose rien de moins qu’un séisme sémantique : remplacer les satoshis, plus petite unité du Bitcoin, par une dénomination plus intuitive. L’idée ? Oublier les 0,000034 BTC et parler en “bitcoins” entiers. Un simple lifting lexical ? Non. C’est une remise en question du langage même qui structure l’univers crypto depuis ses débuts.
Derrière cette proposition choc, une réalité que tout utilisateur de Bitcoin a déjà ressentie : la difficulté d’appréhender des montants minuscules à huit décimales. Si le bitcoin veut quitter le club fermé des initiés et devenir une monnaie du quotidien, il doit abandonner son jargon cryptique et adopter une communication limpide. Pour Dorsey, le “sat” est devenu un frein, un reliquat du passé.
Les satoshis : frein numérique ou héritage sacré ?
À première vue, le satoshi est un hommage. Un clin d’œil respectueux à Satoshi Nakamoto, le pseudonyme mythique du créateur de Bitcoin. Mais aujourd’hui, afficher un café à “84 000 sats” ou un t-shirt à “210 000 sats” crée plus de confusion que d’adhésion. Les chiffres en apparence astronomiques ne signifient rien pour le profane. Ils effraient, ils compliquent, ils rebutent.
Jack Dorsey va droit au but : l’adoption passe par la simplicité. Et dans l’économie numérique, la clarté est reine. L’utilisateur lambda ne raisonne pas en puissances de dix ou en fractions de centimes, il veut un chiffre rond, identifiable, presque palpable. Les fintechs l’ont bien compris : ce que l’œil comprend instantanément, le cerveau accepte plus facilement.
Ce changement de paradigme pourrait transformer la perception même du bitcoin. Acheter un produit à “0,0001 BTC” évoque une parcelle microscopique d’un actif inabordable. L’acheter à “10 000 bitcoins (nouvelle notation)” donne l’illusion de détenir quelque chose de concret, de tangible. Le marketing fait le reste. Plus valorisant, plus fluide, plus humain.
BIP 177 : révolution sémantique ou chaos programmé ?
Proposé par John Carvalho et soutenu par Dorsey, le Bitcoin Improvement Proposal 177 (BIP 177) ne change rien au protocole de fond, mais tout à l’usage. Ce qu’on appelait jusqu’ici “1 sat” deviendrait “1 bitcoin”. L’actuel BTC, lui, garde son nom et son affichage à huit décimales. Le but : un système d’affichage plus intuitif, plus proche du langage courant, quitte à secouer les puristes.
Les partisans y voient un “split nominal”, une stratégie largement utilisée en bourse pour démocratiser l’accès à un actif. À la manière d’une action Apple découpée en morceaux pour redevenir accessible au grand public, le bitcoin s’effeuille ici symboliquement pour séduire un public plus large. Pour certains, c’est même une porte d’entrée vers l’épargne régulière : accumuler 15 000 bitcoins “nouvelle version” semble plus motivant que de posséder 0,0015 BTC.
Mais l’utopie marketing se heurte à un mur : la résistance historique. Pour la communauté bitcoin, chaque terme est chargé de sens, chaque unité est un marqueur culturel. Supprimer les satoshis, c’est risquer de gommer un pan identitaire. C’est aussi poser un sérieux problème de synchronisation : les portefeuilles, les exchanges, les APIs, tous devront adapter leur affichage.
Le chaos guette si la transition est mal orchestrée. D’autant que cette dualité d’affichage entre anciens et nouveaux standards pourrait brouiller les pistes, voire ouvrir la voie à des erreurs de paiement ou de comptabilité.
Bitcoin face à son miroir : évolution ou trahison ?
En fin de compte, la question que pose Jack Dorsey dépasse le simple champ technique. Elle touche à la nature même de Bitcoin. Est-il un actif sanctuarisé, figé par son histoire, ou un outil évolutif, façonné par les usages ? Dorsey tranche : pour que Bitcoin devienne une monnaie populaire, il doit se faire comprendre sans mode d’emploi.
L’histoire montre que les changements radicaux déclenchent d’abord l’indignation, puis l’adhésion. Le bouton “like”, la timeline inversée, les stories… Autant d’idées critiquées avant d’être banalisées. Le Bitcoin n’échappera pas à cette logique. La suppression des satoshis est un pari risqué, mais il est peut-être temps d’abandonner le mythe pour embrasser l’adoption.
La bataille sémantique ne fait que commencer. Et comme souvent dans l’univers crypto, elle ne se réglera ni dans les forums ni dans les charts, mais dans les usages réels. Le bitcoin que vous paierez dans 10 ans ne dira peut-être plus “sat”, mais il n’aura jamais été aussi proche de votre quotidien.