Crypto : La Russie contourne les sanctions via le Kirghizistan

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Russie Sanction crypto

Alors que les sanctions internationales s’intensifient depuis l’invasion de l’Ukraine, un nouveau rapport met en lumière une stratégie discrète, mais structurée : le recours massif à l’industrie crypto du Kirghizistan. Derrière l’essor fulgurant de ce secteur dans ce petit État d’Asie centrale, plusieurs signaux laissent entrevoir une opération largement pilotée depuis Moscou.

Une industrie crypto kirghize aux allures de satellite russe

Derrière la façade d’un développement numérique national, le tableau est plus trouble. D’après un rapport de TRM Labs, cabinet spécialisé dans le renseignement blockchain, la quasi-totalité des flux cryptos enregistrés au Kirghizistan provient d’activités russes.

La plupart sont liés à des entités proches de Garantex, une bourse crypto russe démantelée en mars 2025 lors d’une opération conjointe internationale.

Un exemple marquant : Grinex, plateforme enregistrée au Kirghizistan, est soupçonnée d’être une simple version reconditionnée de Garantex.

Garantex

Autre indice, le stablecoin A7A5, utilisé pour des transferts massifs entre les deux pays, semble perpétuer les circuits de financement russes.

Au fil de l’enquête, des recoupements apparaissent (adresses partagées, fondateurs communs, contacts identiques) et dessinent les contours d’un réseau de sociétés-écrans.

Selon TRM Labs, l’ampleur du phénomène est telle que l’écosystème crypto local, encore inexistant en 2022, ne répond pas à une demande intérieure mais quasi exclusivement à une demande venue de Russie.

Le Kirghizistan, porte d’entrée méconnue vers les marchés mondiaux

Pourquoi le Kirghizistan ? Ce pays enclavé, peu surveillé sur la scène internationale, a adopté début 2022 une loi favorable aux cryptos. Elle reconnaît les actifs numériques comme une forme de propriété, et encadre les prestataires de services crypto (VASP).

Sur le papier, rien d’anormal. Mais cette ouverture réglementaire a offert à Moscou un canal d’accès détourné aux marchés internationaux. En 2022, les VASP kirghizes géraient à peine 59 millions de dollars. En 2024, ils en traitent 4,2 milliards… en sept mois seulement.

Ce bond n’est pas lié à un engouement local. Aucun indicateur clair ne montre que les Kirghizes se tournent massivement vers Bitcoin ou Ethereum. Comme le résume Isabella Chase, analyste chez TRM Labs,

Cette croissance est tirée par la demande russe, pas par une utilisation locale.

Convertir des roubles dans l’ombre des sanctions

Derrière cette architecture, l’objectif semble limpide : convertir des roubles en stablecoins pour échapper aux sanctions occidentales. TRM Labs identifie, parmi les usagers de ces plateformes, des groupes russes sous sanctions, dont le groupe paramilitaire Rusich impliqué dans les combats en Ukraine.

Des plateformes comme EVDE (Envoys Vision Digital Exchange) servent d’intermédiaires. Les fonds sont convertis, puis envoyés à l’international, hors du radar du système bancaire traditionnel.

Le stablecoin A7A5, adossé au rouble, joue ici un rôle central. En effet, il sert de passerelle entre les bourses russes, les plateformes kirghizes, et potentiellement des entités chinoises ou européennes.

Certains échanges sont même liés à des entreprises logistiques transfrontalières, qui faciliteraient la livraison de composants sensibles, comme des drones ou des semi-conducteurs, parfois à usage militaire.

Un écosystème permissif, entre ambitions numériques et laxisme réglementaire

Si le Kirghizistan peut servir de relais, c’est aussi en raison de sa vulnérabilité institutionnelle. Le pays affiche un score de 25/100 à l’indice de corruption de Transparency International, et souffre d’un manque chronique de contre-pouvoirs. La supervision du secteur financier y est encore lacunaire.

Dans ce contexte, les prestataires crypto se multiplient : 126 sont officiellement enregistrés à ce jour. Le ministère des Finances développe même son propre stablecoin, l’USDKG, adossé au dollar.

Mais sans garde-fous solides, ces initiatives risquent d’être récupérées, ou instrumentalisées, au profit d’intérêts extérieurs. Pas sûr que les autorités à Bichkek mesurent encore l’ampleur du phénomène.

Une trajectoire qui inquiète

La dynamique actuelle n’indique pas de ralentissement. En 2024, le commerce bilatéral entre Moscou et Bichkek a atteint 3,5 milliards de dollars. Et selon les douanes chinoises, les exportations de composants sensibles vers le Kirghizistan ont grimpé de 64 % entre 2022 et 2023.

Autrement dit, le pays est devenu un maillon logistique et financier dans un réseau de contournement des sanctions. Et Moscou ne semble plus s’en cacher : le conglomérat public Rostec prévoit déjà son propre stablecoin adossé au rouble, hébergé sur la blockchain Tron. Un pas de plus vers un écosystème crypto russe autonome… et difficile à surveiller.

Ce que révèle le rapport de TRM Labs dépasse la simple tactique d’évitement. C’est la construction méthodique d’un système parallèle, crypto-compatible, conçu pour diluer l’effet des sanctions. En exploitant les fragilités juridiques d’un État périphérique, la Russie esquisse un nouvel échiquier financier.

Reste à savoir si la communauté internationale saura y répondre ou si d’autres pays, à leur tour, suivront le même chemin.

Par lucie

Plongée dans l’univers du numérique depuis plus de dix ans, Lucie Moinet s’est rapidement passionnée pour les crypto-monnaies et les révolutions financières décentralisées. Attentive aux évolutions du Web3, elle aime décrypter les tendances et rendre accessibles des sujets souvent techniques. Souhaitant aider chacun à mieux comprendre les enjeux de la blockchain et à saisir les opportunités de cette nouvelle ère elle a décidé d'utiliser sa plume ou plutôt son clavier dans ce but.