Une transaction bitcoin à 0,1 sat/vByte. Non, ce n’est pas une coquille. Alors que le coût minimum pour faire valider une transaction sur le réseau Bitcoin était fixé depuis longtemps à 1 satoshi par octet virtuel, il a récemment chuté de 90 %. Si cela peut sembler une aubaine pour les utilisateurs, ce bouleversement soulève une question cruciale : que devient le modèle économique des mineurs quand les frais s’évaporent ?
Un effondrement des frais : symptôme ou opportunité ?
La baisse vertigineuse du coût de transaction sur le réseau Bitcoin n’est pas le fruit d’un progrès technologique révolutionnaire. Elle est plutôt le reflet d’une réalité moins reluisante : la faible activité sur le réseau. Les blocs ne sont tout simplement plus remplis. Moins de demandes = moins de compétition = moins de frais.
Ce phénomène a été confirmé par Mempool, l’un des explorateurs de blockchain Bitcoin les plus respectés. Il rapporte que la priorité moyenne des transactions est tombée à 0,1 sat/vByte.
Une chute historique, inédite depuis des années. Ce tarif ridiculement bas rend l’utilisation de Bitcoin plus accessible, mais en contrepartie, il met à mal le mécanisme incitatif qui fait tourner la machine : les récompenses aux mineurs.
Il faut comprendre que les mineurs, ces acteurs essentiels de l’infrastructure Bitcoin, ne se contentent pas d’altruisme. Leur business repose sur deux piliers : la récompense fixe en bitcoin par bloc (actuellement 3,125 BTC depuis le halving d’avril 2024) et les frais de transaction.
Lorsque ces derniers s’effondrent, leur rentabilité vacille. Or, maintenir des fermes de minage actives coûte une fortune en matériel et en énergie.
Les mineurs sur la sellette : vers une crise structurelle ?
En apparence, la baisse des frais semble n’être qu’un ajustement temporaire à un passage à vide. Mais le problème pourrait être plus profond. En fait, ce n’est pas seulement une baisse d’activité qui est en cause, mais une remise en question du rôle du bitcoin dans l’écosystème crypto.
JACK DORSEY: Bitcoin fails by being irrelevant.
It becomes irrelevant if it's only a store of value and not used for everyday payments. pic.twitter.com/wmEO6sZWH1
— Bitcoin News (@BitcoinNewsCom) April 2, 2025
Les utilisateurs quotidiens désertent le réseau. L’époque où les ordinals (les NFTs natifs du bitcoin) généraient un engorgement des blocs et des frais élevés semble lointaine.
De même, les paiements en bitcoin ne se sont jamais vraiment démocratisés, contrairement à ce qu’espérait Satoshi Nakamoto à l’origine. Bitcoin est devenu un « or numérique », une réserve de valeur plus qu’un moyen de paiement.
Mais cette orientation a un coût. Moins d’utilisations pratiques signifie moins de transactions. Et sans transactions, pas de frais.
Si la tendance se confirme, les mineurs devront de plus en plus se reposer uniquement sur la récompense fixe, qui elle-même diminue tous les quatre ans. Le cercle devient alors vicieux : moins de rentabilité = moins de mineurs = moins de sécurité du réseau.
Paiement ou réserve de valeur : le débat relancé
Cette nouvelle chute des frais ravive un débat aussi vieux que bitcoin lui-même : est-il un outil de paiement ou un actif à conserver ? Les deux visions s’affrontent, et cette baisse des frais vient donner des arguments à chaque camp.
Les partisans du bitcoin comme moyen d’échange y voient une opportunité : avec des frais aussi bas, la promesse d’un système de paiement décentralisé, rapide et bon marché pourrait enfin devenir réalité.
De quoi réactiver l’intérêt des commerçants et des plateformes qui l’avaient mis de côté à cause de ses coûts imprévisibles.
À l’inverse, les maximalistes du bitcoin comme réserve de valeur s’en inquiètent. Car un réseau utilisé principalement pour stocker de la valeur est tributaire d’un niveau de sécurité élevé, que seul un système de minage rentable peut assurer. Si les mineurs désertent faute de revenus, la sécurité de la chaîne en pâtit, mettant en péril toute l’édifice.
Ce dilemme n’est pas qu’intellectuel. Il aura des conséquences concrètes sur les décisions futures concernant le protocole Bitcoin, notamment autour de l’évolutivité, des couches secondaires (comme le Lightning Network ou Bitcoin Hyper ), ou encore des incitations pour les mineurs post-halving.
Vers un changement de paradigme ?
Peut-on imaginer un bitcoin sans frais ? Ce scénario, autrefois inconcevable, semble aujourd’hui plausible. Mais il poserait un sérieux problème de durabilité. Car à terme, la récompense en bitcoin par bloc va tendre vers zéro, selon le mécanisme prévu dès la création du protocole.
Et si, en parallèle, les frais restent au plancher, la question est simple : pourquoi continuer à sécuriser le réseau ?
Certains évoquent déjà des solutions : incitations alternatives, évolutions protocolaires, ou introduction de modèles hybrides mêlant proof-of-stake et proof-of-work. Mais toutes ces options impliquent de profonds changements idéologiques, que la communauté bitcoin, historiquement conservatrice, n’acceptera pas facilement.
En attendant, les utilisateurs profitent de frais dérisoires, les mineurs serrent les dents, et l’avenir de l’économie du minage se joue en silence, bloc après bloc.